Gérald Darmanin au Parisien : « Chaque jour passé au ministère de la Justice sera utile aux Français. »

L’examen de la proposition de loi (PPL) sur la justice des mineurs débute ce mercredi à l’Assemblée. Ce texte est très décrié politiquement. Répond-il vraiment aux enjeux du moment ?
GERALD DARMANIN. Il nous faut mettre à jour la politique pénale des mineurs, qu’ils soient auteurs, victimes ou les deux. Il y a de bonnes choses dans cette proposition de loi déposée par Gabriel Attal, qu’il s’agisse de l’excuse de minorité ou de l’amende civile aux parents.
Allez-vous déposer des amendements pour enrichir le texte ?
J’ai 5 propositions fortes. Elles seront déposées au Sénat, pour laisser le temps de la concertation et proposer d’autres mesures. La première est d’instaurer une mesure judiciaire de couvre-feu aux mineurs délinquants dès la sortie des cours et les week-ends – l’Espagne le fait. La deuxième, ce qui n’existe pas aujourd’hui, est d’instaurer une sanction lorsqu’une mesure éducative n’est pas respectée. Le troisième est de renforcer l’utilisation du bracelet électronique pour les 16-18 ans – trop peu utilisé aujourd’hui – et de poser la question de son application à des moins de 16 ans, par exemple ceux qui sont utilisés comme petites mains sur les points de deal. La quatrième consisterait à créer une injonction d’assistance éducative pour les parents, une sorte d’obligation d’aide à la parentalité. Il y a des parents dépassés. Il faut les aider. Pour ceux qui ne sont pas coopératifs, il faudra les sanctionner.
Et la cinquième ?
Nous devons plus encore faire entrer la société dans le tribunal pour enfants. Ainsi, les délits commis par les mineurs pourraient davantage être jugés par une forme de « jury populaire », placé auprès du magistrat. Il s’agirait de passer de deux assesseurs actuellement à quatre, en permettant à des personnes tirées au sort de siéger. Enfin, au-delà de ces amendements, il faut lancer le débat sur l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans. Un mineur d’aujourd’hui de 17 ans n’est plus celui de 1945. Chacun le constate.
Le monde judiciaire estime que le code pénal de mineurs, réformé en 2021, n’a pas eu le temps de prendre son envol…
Ce code des mineurs a atteint son premier objectif : réduire de 18 mois à 8 mois les délais de jugement pour les mineurs. Mais il n’a pas toujours été imaginé avec les moyens nécessaires. Les professionnels ont raison de le dire. Il y a aujourd’hui 1 juge pour enfant pour 400 mineurs suivis. Pour les magistrats, c’est ingérable ! De même, il y a trop peu d’agents de la protection judiciaire de la jeunesse. C’est pourquoi j’ai décidé du renfort de 100 magistrats spécialisés dès le printemps prochain et jusqu’en 2027. Outre l’aspect humain, l’autre difficulté est le nombre insuffisant de structures d’accueil pour mineurs délinquants. Il n’y a par exemple que 650 places en centre éducatif fermé (CEF). Je souhaite que dix-huit nouvelles structures ouvrent d’ici un an et demi. J’ai par ailleurs lancé une mission d’évaluation sur l’efficacité des centres éducatifs.
L’aide sociale à l’enfance est débordée. Que faire ?
Mon expérience de maire m’amène à constater que la puissance publique est aussi un parent défaillant. Il y a des milliers d’enfants en attente de placement alors qu’ils sont en danger. C’est un scandale. Je prends cette question comme une priorité de mon ministère et réunirai très prochainement tous les acteurs pour trouver des solutions rapides dans l’intérêt des enfants et de la société.
Emmanuel Macron n’a jamais exclu la possibilité de constitutionnaliser l’indépendance du Parquet. Où en est-on ?
Fort de ses constats paradoxaux sur le travail qui ne permet plus de changer de niveau, sur la stagnation du pouvoir d’achat et sur le fait que le travail n’a jamais autant payé, alors que nous ne travaillons pas moins que nos parents, il nous livrera ses propositions pour un nouveau contrat social fondé sur le travail. Le travail est ce qui nous divise le moins : à nous de bâtir une société du travail reposant sur la réalisation individuelle au service de biens communs. Je suis favorable à l’adoption de la réforme constitutionnelle qui a déjà été votée dans les deux assemblées il y a dix ans. Et ce serait un honneur que cela soit fait pendant que je suis garde des Sceaux. Il appartient, s’il le souhaite, et si les conditions politiques sont réunies, au président de la République de réunir le Congrès. Tous les courants politiques se disent aujourd’hui favorables à l’État de droit, que cette réforme renforcerait indubitablement. Il ne s’agit pas de couper le lien hiérarchique entre le parquet et le garde des Sceaux, qui mène la politique pénale générale, mais de rendre plus légitime la nomination de ses magistrats.
Vous êtes là depuis seulement quelques semaines, vous voulez lancer tous ces chantiers ?
Prisons de haute sécurité pour les narcotrafiquants, loi contre le trafic de drogues, courtes peines enfin appliquées, violences contre les mineurs. Chaque jour passé au ministère de la Justice sera utile aux Français. Le peuple Français attend des solutions radicales à ses problèmes. Je suis là pour faire turbuler le système.
Sur d’autres sujets encore ?
Oui. Dans les semaines qui viennent, nous nous intéresserons à l’anonymat sur les réseaux sociaux. Au ministère de la Justice, nous considérons que la fin de l’anonymat sur les réseaux sociaux est d’une importance capitale dans la lutte contre la pédocriminalité, le trafic de drogue, le cyberharcèlement… Reprenons la proposition du député Paul Midy déposée il y a quelques mois, pour que chaque citoyen français ait une identité numérique propre, qui permette aux enquêteurs de remonter à l’auteur de l’infraction. Pourquoi les réseaux sociaux seraient le seul endroit où l’expression ne serait pas conforme aux règles de la République ? On sait qu’une grande partie de la délinquance et de la criminalité est aujourd’hui numérisée. Internet doit cesser d’être une zone de non droit.
Vous souhaitez une primaire pour désigner le candidat du camp présidentiel pour 2027. Pourquoi ?
Notre souhait à tous, c’est qu’un seul candidat puisse s’imposer naturellement d’ici la prochaine présidentielle. Mais pour cela, il faut que les idées qu’il ou elle portera soient connues, radicales et convaincantes. Et si jamais une personnalité ne parvient pas à se dégager, comme l’ont réussi Emmanuel Macron ou Nicolas Sarkozy en leur temps, il faudra forcément un processus de départage. Aucun Français ne nous pardonnerait d’avoir plusieurs candidats à l’élection présidentielle au premier tour. Ce serait un échec certain. Il faudra donc une primaire ouverte, la plus large possible.
Y compris avec les LR ? Retailleau, Wauquiez ou Bertrand pourrait par exemple y participer ?
Nous avons, évidemment, vocation à travailler ensemble pour l’élection présidentielle. Les LR subissent un paradoxe : leur mouvement ne représente aujourd’hui qu’une partie des votes des Français alors que le pays n’a jamais été aussi à droite. Aucun parti au gouvernement ne pourra donc gagner seul. Nous travaillons déjà très bien avec Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez. C’est notre responsabilité collective pour la France de continuer à travailler ensemble et de construire une plateforme programmatique commune.
On connaît votre proximité avec Edouard Philippe, qui lui refuse depuis le début de participer à une primaire. Il se trompe ?
Deux ans, c’est vrai, c’est tôt pour désigner un candidat, mais c’est le moment pour travailler à un projet pour la France. Une élection présidentielle, c’est un moment légendaire, romanesque. On doit pouvoir se projeter dans la France, dans l’Europe, dans le monde pour dix ou quinze ans. Ce qui devrait tous nous intéresser à ce stade, c’est de réfléchir à des idées pour que les Français puissent seretrouver. Des idées qui à mes yeux doivent être radicales, mais pas extrémistes. Je souhaite qu’Edouard Philippe, comme les autres candidats potentiels, y travaillent.
Et vous, vous pourriez participer à cette primaire ?
J’ai envie de construire un projet ambitieux pour mon pays. Mais soyez certains que d’une manière ou d’une autre, je participerai à l’élection présidentielle.
Mais quelles sont vos idées ? Et si personne les reprend, vous n’excluez donc rien pour 2027 ?
J’aime trop la France pour me désintéresser de son avenir. Je ne souhaite pas installer une guerre des chefs, Mais tous les Français souhaitent un projet radical. J’ai commencé à porter un certain nombre de propositions. Parmi elles, l’abrogation du droit du sol. Je souhaite également proposer la transformation du système de retraites vers un système par capitalisation. C’est le meilleur moyen de financer nos retraites, tout en finançant la transition écologique et la modernisation de notre pays. Je suis également favorable à la suppression de toute fiscalité sur les donations quelles que soient le montant, quels que soient les ayants droit. Je suis de même pour que les entreprises, quelle que soit leur taille, permettent à tous leurs salariés d’être actionnaires, et qu’en échange l’État ne prélève aucune fiscalité.
Il y a quelques jours, le ministre de l’Économie Éric Lombard a proposé d’avoir des entreprises « moins rentables » pour financer la transition écologique…
Je suis en désaccord avec Éric Lombard. Nous avons besoin de retrouver un discours sur la croissance. Nous système repose sur le travail, donc sur des entreprises qui doivent être le plus rentables possible. En ce moment, il est de bon ton de fustiger les patrons, tous les patrons jusqu’aux capitaines d’industrie. Nous devons considérer que quand Bernard Arnault (NDLR, propriétaire du Parisien/Aujourd’hui en France), Vincent Bolloré ou Rodolphe Saadé s’expriment, ils doivent être écoutés. Ils sont des atouts pour une France souveraine. Grâce au président de la République, nous avons été l’incarnation de la politique de l’offre, de la baisse des impôts, du retour au travail. Nous devons accentuer cette politique.
On a l’impression que vous vous éloignez du mouvement Renaissance dirigé par Gabriel Attal. Le Macronisme, c’est fini ?
Ce n’est pas ce que je dis. Mais la société française attend des politiques des positions fermes et nettes. Sans renier ce que nous avons construit ensemble. Or, j’observe parfois que nous manquons de clarté, que nous faisons trop de compromis, qui parfois nous rapetissent.
Le « en même temps » cher au président a été mortifère pour le pays ?
Cela a correspondu à une attente légitime des Français. Mais je ne suis pas tout à fait certain que cela corresponde à la société d’aujourd’hui. Nous n’avons pas à rougir des réformes très importantes que nous avons mis en place sous l’autorité du Président de la République : l’impôt à la source, la réforme de la police nationale, l’organisation des Jeux olympiques, la lutte contre le séparatisme islamiste…
La compétition s’accélère à LR. Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez, etc. Que pensez-vous de cette bataille ?
C’est très sain que deux personnalités de talent puissent confronter leur vision du parti LR. Je sais qu’ils seront très attentifs à ne pas reproduire les travers mortifères du passé, qui nous ont tant coûté, comme à l’époque de confrontation entre Jean-François Copé et François Fillon. Nous avons tous un rendez-vous avec l’Histoire et nous avons tous à travailler ensemble.